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Extrait de "La danse une parole"
Maddy Jourdain, éd. Le Centurion 1982 (nous avons marqué
en gras les propos clé)
Nous pouvons dire que contrairement aux rééducations morcelées, la
danse prend la personne dans sa totalité et cela est très important
pour qui n’a pas intégré son corps.
Il n’est pas possible de toucher, de manipuler de but en blanc, l’enfant
qui ne supporte pas qu’on l’approche ou qui le ressent comme une agression.
Jean (IMC, psychotique, déficitaire) accepte actuellement qu’on le fasse
remuer dans tous les sens à condition qu’il ne se sente pas
prisonnier de la personne qui le fait remuer. C’est cela l’approche
de la danse: ne pas faire le geste pour l’enfant mais le suggérer,
partir de ce qu’il émet déjà et lui faire percevoir comment le poursuivre,
le prolonger.
La musique facilite beaucoup cette mise en mouvement. Si l’enfant par
exemple lève une jambe, le genou plié, on peut esquisser le mouvement
de tendre le genou. Selon sa réaction, on poursuit ou on lâche aussitôt.
L’enfant a cependant pu saisir une autre attitude et prendre conscience
de son articulation. C’est ainsi que nous rentrons dans les stéréotypies
gestuelles en les reproduisant, en les élargissant, en partant d’elles
pour les intégrer dans une ébauche d’autres gestes, d’autres attitudes
et d’autres déplace ments dans l’espace, très progressivement selon
l’évolution de chaque enfant.
Michel, dans ses sauts stéréotypés, fait alterner tension et détente.
La première fois, il refusait que j’entre dans son jeu, mais progressivement
je sautais avec lui, sans bouger les mains, puis en bougeant les mains
comme lui; ainsi, il a pris conscience de "l’autre » que j’étais,
il est venu chercher mes mains, les toucher par-dessus, par-dessous,
puis progressivement a ébauché d’autres mouvements. Il a pris
conscience qu’il était capable de faire autre chose. Ses stéréotypies
n’ont pas disparu mais il semble avoir pris du recul par rapport à elles
et les utilise de façon moins angoissée et sur un mode plus relationnel
pour appeler l’adulte et le faire réagir par exemple.
Si certains enfants sont plus sensibles, au départ, à certaines parties
du corps (nous avons vu les mains pour Jean), arrivés à un certain stade
comme Ouadad (fillette de 5 ans, trouble de la relation, phobique, défici-
taire), ils ont envie que l’adulte se meuve totalement dans l’espace.
C’est ainsi que Ouadad qui ne marchait pas par peur du vide, peur liée
à des troubles relationnels avec sa mère, s’est mise très rapidement
à remuer tête, bras, mais aussi à faire remuer mes bras et mes mains.
Un jour, pour être à son niveau (Ouadad se tenant toujours assise à
terre), je me mis à genoux et me contentai, croyant lui faire plaisir,
de danser uniquement avec le buste, les bras, la tête. Ouadad, qui ne
parle pas, prit le tissu de mon pantalon, le tira en l’air, me faisant
comprendre que je devais me lever, puis remua les pieds pour me dire
de remuer les miens.
Je me mis alors à danser avec tout le corps; Ouadad éclata de rire,
battit des mains, tapa des pieds, changea de place, toujours assise
au sol. Lorsque je me permettais de m’arrêter elle prenait un air fâché
et esquissait un son « enco » qui me disait "encore ».
Ce qui est vrai pour Ouadad, l’est aussi pour d’autres. Il faut que
l’éducatrice accepte pendant tout un temps, qui lui semble long parfois,
de danser seule au milieu de la pièce, entourée d’enfants
qui la regardent plus ou moins furtivement, avant qu’eux-mêmes puissent
se mettre en mouvement. Selon leur niveau d’évolution, selon leur atteinte,
selon le laps de temps passé dans la maison, il est possible alors de
communiquer en dansant avec les enfants, soit en faisant un geste vers
eux, soit en les touchant s’ils le supportent, mais rarement en les
entraînant dans la danse directement. Pour les entraîner dans la danse,
il faut qu’ils soient désinhibés et qu’ils aient acquis une certaine
conscience de leur corps.
Ouadad ne parvint pas à se lancer dans l’espace, bien qu’elle eût
pu marcher sur le plan fonctionnel. Allions-nous apprendre à
Ouadad à marcher? Non, nous allions essayer de lui donner envie de marcher.
Cela, en lui donnant l’assurance que nous ne la lâcherons pas, mais
aussi en lui faisant prendre conscience de son corps,
à partir de sa position préférée, assise au sol.
Comme beaucoup, elle aime la musique et les chansons. Nous avons commencé
par remuer les mains, la tête, les yeux... puis les jambes, Ouadad étant
toujours assise. Tous ces gestes se firent à distance, puis d’elle-
même Ouadad s’approcha prudemment, comme si elle s’assurait qu’on ne
"l’encerclait pas ». Enfin, elle prit mes mains et les fit remuer
comme elle en avait envie. Je lui proposai alors d’en faire autant avec
mes pieds. Cela l’amusa beaucoup, elle regarda les siens. Nous avons
poursuivi notre jeu par les genoux, puis nous avons fait quelques minutes
de marche main dans la main. Dernièrement, elle me prit les mains pour
les manipuler à sa guise sur la musique. Mais je résistai et j’attachai
mes doigts ensemble. Sentant la résistance si solide, elle se mit subitement
debout, seule, ce qu’elle n’avait jamais fait, se rassit, puis recommença
le jeu six fois. Elle se tourna ensuite vers l’autre éducatrice et alla
faire de même avec elle.
A ce sujet, il est important de ne pas faire prendre conscience
à l’enfant trop tôt de son « exploit », de ne pas s’extasier et de ne
rien verbaliser tout de suite sans qu’une certaine assurance soit acquise.
L’expérience nous a prouvé que la prise de conscience trop rapide de
l’enfant, de ce qu’il fait, le replonge dans son angoisse et retarde,
pour un long temps parfois, l’exploit réalisé.
Nous voyons que si, au début, nous devons accompagner l’enfant dans
ses mouvements pour lui en faire prendre conscience, il est nécessaire
qu’à un moment donné, nous offrions une résistance pour qu’il se différencie
de l’autre et accède à des mouvements spontanés, indépendants.
Cette expérience a duré encore quelques mois puis un jour, Ouadad a
fait six pas hésitants dans l’espace vers un but qu’elle s’était donné,
en se gardant de nous regarder (et nous avons bien senti qu’il ne fallait
pas que nous la regardions à ce moment-là). Les jours suivants, elle
a renouvelé seule son expérience et, sans jamais la féliciter de sa
réussite, nous lui avons proposé d’aller chercher tel ou tel objet sans
préciser selon quel mode de déplacement et elle a maintenu son choix
de la marche. Nous le lui avons fait remarquer plusieurs semaines plus
tard, lorsqu’elle fut assurée qu’elle marchait. Il lui arrive encore
de perdre ce mode de déplacement dans des lieux inconnus ou dans des
situations très angoissantes.
L’intervention de la musique a un rôle prépondérant dans l’évolution
corporelle de l’enfant. La musique touche l’enfant non par la simple
audition, mais par la sensation profonde des vibrations émises, ce qui
demande une certaine puissance d’émission, donnant une place prépondérante
à la musique et non à un simple fond musical.
Véronique (fillette de cinq ans psychotique) ayant un langage intérieur
peu extériorisé, très active sur le plan moteur, réagit de façon très
violente à la musique mais toujours en se servant du corps de l’adulte
qu’elle utilise comme un objet. Dans la première période, elle recherchait
des sensations très fortes qu’elle me transmettait en me secouant, en
grimpant sur mes épaules, en me tordant la tête, en me marchant dessus
comme pour me piler, me détruire. Tous ses mouvements étaient désordonnés,
impulsifs, agressifs et je sentais latent en elle un grand besoin de
destruction. Puis, ne pouvant plus supporter physiquement ses décharges
et ses acrobaties, je lui proposai comme intermédiaire un gros ballon
de plage sur lequel elle s’assit et où elle désirait impérativement
que je l’aide à se maintenir en équilibre; elle, continuant à gesticuler,
et à jouer avec ses sensations de perte d’équilibre. C’est alors qu’elle
nous découvrit dans la glace et qu’elle se mit à faire des grimaces,
à faire le clown. A ce moment, je suis entrée dans le jeu, nous
avons échangé des grimaces et peu après, elle s’est mise à rire aux
éclats de cette situation qui, de crispée au départ, était devenue un
jeu entre nous.
Ceci se passait sur des rythmes de percussion afro-cubains ou jazz
dont elle chantait en même temps les paroles (étrangères et probablement
pour elle, des onomatopées). Cependant, un jour, sur une musique de
l’Inde, elle se mit en mouvement, accepta ma réponse puis elle se laissa
aller, demandant à être manipulée doucement au niveau de la colonne
vertébrale. La musique terminée, elle alla dans l’eau où elle finit
de se ressaisir. Quand elle sortit de l’eau, elle vint dans mes bras,
y resta un moment puis partit en touchant mon bras et en disant « ça,
c’est à moi ».
Véronique a évolué assez rapidement au niveau de son corps, elle est
devenue plus harmonieuse quand elle s’exprime sur la musique. Dans tout
son comportement elle est moins désordonnée. Elle a cependant gardé
son expression très dynamique, passionnée, correspondant certainement
à sa nature.
Là, comme dans les ateliers, nous utilisons les musiques: classiques,
romantiques, contemporaines, concrètes, orientales, jazz, afro-cubaines,
folkloriques, chansons enfantines, chansons modernes, selon les besoins
et les moments.
Comme intermédiaires, nous pouvons nous servir également de tissus de
couleurs, de rubans, etc... Les enfants ont des préférences pour telle
ou telle couleur (que nous retrouverons en peinture). D’autres enfants
aiment la sensation du tissu drapé sur leur corps dans lequel ils s’enroulent
en rythme sur la musique (rappelons que le rythme n’est pas le respect
de la mesure au sens du solfège).

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